Le Dernier Amour du lieutenant Petrescu by Vladimir Lortchenkov

Le Dernier Amour du lieutenant Petrescu by Vladimir Lortchenkov

Auteur:Vladimir Lortchenkov [Lortchenkov, Vladimir]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2016-10-05T22:00:00+00:00


26

Léna était une femme de trente-cinq au corps solide et harmonieux, qui vendait ses charmes à la gare de chemins de fer. Quand les clients l’apercevaient de dos, ils étaient d’abord très enthousiastes, mais leur ardeur se calmait quelque peu lorsqu’ils entrevoyaient le visage de Léna, défiguré par deux cicatrices sur la joue gauche. À quoi il fallait ajouter des traits tirés. Muntianu ne s’en émouvait pas, présumant de façon tout à fait sensée que la beauté était un phénomène transitoire. Aussi l’agent de la sécurité d’État était-il tombé amoureux de la prostituée. Hélas, pour l’instant, la belle ne s’était laissé enlacer qu’un nombre de fois limité, et ne lui avait accordé qu’un timide baiser sur la joue.

— Mais enfin, à la gare, tu te donnes à des gens que tu vois pour la première et la dernière fois ! s’insurgea un jour Muntianu, au désespoir. Et moi, j’ai pas le droit de coucher avec toi !

— S’il y a vraiment des sentiments entre nous, répliqua Léna en se redressant, on ne doit pas se presser. Allons plutôt nous promener.

Alors, bras dessus bras dessous, les amoureux s’en furent baguenauder sur l’avenue Étienne-le-Grand. La statue du grand roi de Moldavie suivait leurs déambulations avec des hochements de tête approbateurs, et il lui arrivait parfois d’adresser des œillades à Muntianu, qui aurait même juré avoir vu le pourpoint d’Étienne se hérisser légèrement – au niveau des parties. Ce jour-là, Léna avait passé sa plus belle robe, qui était aussi la plus courte. Muntianu, particulièrement excité, partageait sans réserve les sentiments de la statue. Pour leur rendez-vous, il avait offert à Léna un œillet et des roses dérobés au pied du monument érigé à la gloire de Tolstoï.

— Comme c’est charmant ! s’était-elle exclamée en approchant les fleurs de ses lèvres charnues qu’étirait un sourire rêveur. Tu es si gentil !

Le cœur serré, Muntianu se fit la réflexion que si, d’ici un mois ou deux, cette femme ne le prenait pas en pitié, il finirait par devenir fou. En même temps, l’agent comprenait que le comportement de Léna se conformait à celui de n’importe quelle jeune fille dans une situation semblable.

— Elle a besoin de s’assurer de tes sentiments, renchérissait Grigori quand les deux amis, assis sur les marches de la cathédrale, méditaient sur certaines spécificités de la logique et du comportement féminins.

— Mais enfin, elle voit pas que je l’aime ? gémissait Muntianu.

— Tu dois t’affermir toi-même dans tes sentiments, répliquait Grigori en levant un index sentencieux.

— J’en ai pas besoin, voyons, je sais déjà tout ce qu’elle signifie pour moi, reprenait Muntianu, qui ne connaissait pourtant Léna que depuis deux semaines.

— Non, rétorquait Grigori. Tu peux avoir l’impression de l’aimer avec adoration, alors que si ça se trouve, ton amour se révélera n’avoir été qu’une illusion charnelle, dès l’instant où vous aurez couché ensemble. Un envoûtement du corps et rien de plus. Et dans ce cas, elle ne sera pas la seule à avoir été trompée, toi aussi, tu l’auras été



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